La lutte contre les clauses abusives dans les contrats d’assurance santé : protéger les droits des assurés

Le contrat d’assurance santé constitue un document juridique complexe dont les conditions générales recèlent parfois des clauses susceptibles de déséquilibrer significativement la relation entre l’assuré et l’assureur. La Commission des Clauses Abusives et la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes constatent régulièrement l’existence de dispositions contractuelles contestables dans ce secteur. Face à cette problématique, le législateur français et européen a développé un arsenal juridique visant à protéger les consommateurs. Cet encadrement juridique s’avère fondamental dans un domaine aussi sensible que la santé, où les conséquences d’une clause abusive peuvent s’avérer particulièrement préjudiciables pour les assurés.

Cadre juridique du contrôle des clauses abusives en matière d’assurance santé

Le contrôle des clauses abusives dans les contrats d’assurance santé repose sur un socle législatif robuste, tant au niveau national qu’européen. La directive européenne 93/13/CEE du 5 avril 1993 constitue le texte fondateur en la matière, établissant une protection minimale des consommateurs contre les clauses abusives. En droit français, cette protection est principalement codifiée aux articles L.212-1 et suivants du Code de la consommation.

Selon l’article L.212-1, une clause est considérée comme abusive lorsqu’elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Cette définition générale s’applique pleinement aux contrats d’assurance santé, qui relèvent du droit de la consommation dès lors qu’ils sont conclus entre un professionnel (l’assureur) et un consommateur (l’assuré).

La jurisprudence de la Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises l’applicabilité du droit de la consommation aux contrats d’assurance. Dans un arrêt du 22 mai 2008, la première chambre civile a expressément reconnu qu’un contrat d’assurance complémentaire santé pouvait contenir des clauses abusives soumises au contrôle judiciaire.

Le Code des assurances vient compléter ce dispositif protecteur avec des dispositions spécifiques au secteur assurantiel. L’article L.112-4 impose notamment une rédaction claire et précise des clauses des polices d’assurance, tandis que l’article L.113-1 exige que les exclusions de garantie soient formelles et limitées.

Autorités de contrôle compétentes

Plusieurs organismes interviennent dans le contrôle des clauses abusives :

  • La Commission des Clauses Abusives (CCA) qui formule des recommandations visant à éliminer les clauses abusives des contrats
  • L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) qui supervise l’ensemble du secteur assurantiel
  • La DGCCRF qui peut intervenir directement auprès des compagnies d’assurance

En 2014, la CCA a publié une recommandation spécifique aux contrats d’assurance complémentaire santé (n°14-01), soulignant plusieurs types de clauses susceptibles d’être qualifiées d’abusives dans ce secteur. Cette recommandation constitue un référentiel précieux pour les juges lors de l’appréciation du caractère abusif d’une clause.

Typologie des clauses abusives fréquemment rencontrées dans les contrats d’assurance santé

Les contrats d’assurance santé comportent fréquemment plusieurs catégories de clauses potentiellement abusives, qui méritent une attention particulière de la part des assurés et des juristes.

Clauses relatives aux délais de carence

Les délais de carence correspondent à une période durant laquelle l’assuré paie des cotisations sans pouvoir bénéficier de certaines garanties. Si le principe même du délai de carence n’est pas illégal, certaines modalités d’application peuvent être jugées abusives. Par exemple, dans un arrêt du 7 février 2018, la Cour d’appel de Paris a considéré comme abusive une clause imposant un délai de carence excessif de 18 mois pour les soins dentaires, créant un déséquilibre significatif au détriment de l’assuré.

Clauses d’exclusion de garantie

Les clauses d’exclusion doivent être formelles et limitées, conformément à l’article L.113-1 du Code des assurances. Sont fréquemment jugées abusives :

  • Les clauses excluant des pathologies de manière imprécise ou trop générale
  • Les exclusions rédigées en termes techniques incompréhensibles pour un non-spécialiste
  • Les exclusions dissimulées dans le corps du contrat sans mise en évidence particulière

La Cour de cassation a ainsi censuré, dans un arrêt du 15 octobre 2015, une clause excluant « toutes les maladies chroniques » sans autre précision, estimant qu’une telle formulation ne répondait pas à l’exigence de clarté et de précision.

Clauses de modification unilatérale

Les clauses permettant à l’assureur de modifier unilatéralement les conditions du contrat sont particulièrement scrutées. Sont généralement considérées comme abusives :

– Les clauses autorisant l’assureur à augmenter les cotisations sans motif précis
– Les clauses permettant de réduire les garanties sans contrepartie
– Les clauses réservant à l’assureur un droit discrétionnaire d’appréciation des conditions de prise en charge

Dans sa recommandation n°14-01, la Commission des Clauses Abusives préconise l’élimination des clauses permettant à l’assureur de modifier unilatéralement le contrat sans justification objective et sans prévoir un droit de résiliation au profit de l’assuré.

Clauses de résiliation

Les clauses de résiliation déséquilibrées, qui facilitent la résiliation par l’assureur tout en la compliquant pour l’assuré, sont régulièrement sanctionnées. La jurisprudence considère notamment comme abusives les clauses imposant des formalités excessives pour la résiliation à l’initiative de l’assuré (lettre recommandée avec accusé de réception, délais de préavis disproportionnés, etc.).

Mécanismes de contrôle et sanctions des clauses abusives

Le contrôle des clauses abusives dans les contrats d’assurance santé s’opère par différents mécanismes, tant préventifs que répressifs, impliquant diverses autorités et juridictions.

Contrôle administratif préventif

L’ACPR exerce une surveillance continue du secteur de l’assurance et peut intervenir pour faire modifier les contrats non conformes à la réglementation. En 2019, cette autorité a notamment publié une position sur les contrats d’assurance complémentaire santé, rappelant les exigences de clarté et de loyauté dans la rédaction des contrats.

La DGCCRF dispose quant à elle de pouvoirs d’enquête étendus et peut réaliser des contrôles ciblés auprès des compagnies d’assurance. En cas de détection de clauses abusives, elle peut :

  • Adresser un avertissement à l’assureur
  • Proposer une transaction administrative
  • Saisir le juge civil pour faire supprimer les clauses litigieuses

En 2020, la DGCCRF a ainsi mené une campagne de contrôle spécifique sur les contrats d’assurance santé, aboutissant à plusieurs injonctions adressées à des compagnies d’assurance pour modification de clauses jugées abusives.

Contrôle judiciaire

Le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation du caractère abusif d’une clause. Il peut être saisi :

– Par un assuré individuel contestant une clause de son contrat
– Par une association de consommateurs agissant dans l’intérêt collectif des consommateurs
– Par le ministère public

La Cour de cassation a développé une jurisprudence substantielle en matière de clauses abusives dans les contrats d’assurance. Dans un arrêt du 29 octobre 2019, elle a notamment rappelé que les juges du fond devaient examiner d’office le caractère abusif des clauses, même lorsque cette question n’est pas expressément soulevée par les parties.

Sanctions encourues

Lorsqu’une clause est jugée abusive, plusieurs sanctions peuvent être prononcées :

– La clause est réputée non écrite, c’est-à-dire qu’elle est écartée du contrat sans affecter la validité des autres stipulations
– L’assureur peut être condamné à des dommages et intérêts si l’application de la clause abusive a causé un préjudice à l’assuré
– Des sanctions administratives peuvent être prononcées par la DGCCRF ou l’ACPR

La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a renforcé les sanctions administratives, permettant désormais à la DGCCRF d’infliger des amendes pouvant atteindre 3000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.

Évolution jurisprudentielle et tendances récentes

La jurisprudence relative aux clauses abusives dans les contrats d’assurance santé connaît une évolution constante, influencée par le droit européen et les nouvelles pratiques du marché.

Influence du droit européen

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) joue un rôle majeur dans l’interprétation de la directive 93/13/CEE. Dans un arrêt du 3 avril 2019 (C-266/18), elle a précisé que le juge national doit pouvoir apprécier d’office le caractère abusif de toutes les clauses contractuelles, y compris celles qui n’auraient pas été invoquées par le consommateur.

Cette jurisprudence européenne a conduit la Cour de cassation à renforcer son contrôle sur les clauses des contrats d’assurance. Dans un arrêt du 17 janvier 2018, la première chambre civile a ainsi considéré que le juge devait examiner d’office le caractère abusif d’une clause d’exclusion de garantie dans un contrat d’assurance santé.

Tendances récentes dans le contrôle des clauses abusives

On observe une attention croissante portée à la lisibilité des contrats d’assurance. Dans un arrêt du 12 juin 2020, la Cour d’appel de Versailles a jugé abusive une clause d’un contrat d’assurance santé en raison de sa rédaction particulièrement complexe, estimant qu’elle ne permettait pas à un assuré moyen de comprendre précisément l’étendue de ses garanties.

La question des clauses relatives à la télémédecine fait l’objet d’un examen attentif. Certaines clauses imposant le recours préalable à une consultation par télémédecine avant tout remboursement ont été contestées devant les tribunaux. Dans une ordonnance du 4 mars 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a considéré qu’une telle clause, qui conditionnait le niveau de remboursement au passage obligatoire par une plateforme de téléconsultation partenaire de l’assureur, présentait un caractère potentiellement abusif.

Les contrats responsables, qui bénéficient d’avantages fiscaux en contrepartie du respect de certaines obligations, font également l’objet d’un contrôle spécifique. La DGCCRF a notamment relevé des pratiques consistant à présenter comme des avantages commerciaux des garanties qui correspondent en réalité aux obligations minimales des contrats responsables.

Recommandations pratiques pour les assurés et les professionnels

Face à la complexité des contrats d’assurance santé et au risque de clauses abusives, plusieurs recommandations peuvent être formulées, tant pour les assurés que pour les professionnels du secteur.

Pour les assurés : vigilance et recours

Les assurés doivent exercer une vigilance particulière lors de la souscription d’un contrat d’assurance santé :

  • Examiner attentivement les exclusions de garantie et les délais de carence
  • Vérifier les conditions de résiliation du contrat
  • Porter une attention particulière aux clauses rédigées en petits caractères
  • Demander des explications sur les termes techniques ou ambigus

En cas de litige concernant une clause potentiellement abusive, plusieurs voies de recours s’offrent à l’assuré :

– Saisir le médiateur de l’assurance, qui peut formuler une recommandation en équité
– Contacter une association de consommateurs qui pourra apporter conseil et assistance
– Signaler la clause litigieuse à la DGCCRF
– En dernier recours, saisir le tribunal judiciaire

La loi Hamon de 2014, complétée par la loi Chatel, a facilité la résiliation des contrats d’assurance santé, permettant aux assurés de changer plus facilement d’assureur en cas de conditions contractuelles défavorables. Depuis le 1er décembre 2020, la résiliation infra-annuelle des contrats d’assurance complémentaire santé est possible à tout moment après la première année de souscription.

Pour les professionnels : prévention et conformité

Les compagnies d’assurance et les intermédiaires ont tout intérêt à adopter une démarche préventive :

  • Réaliser un audit régulier des conditions générales pour identifier les clauses potentiellement abusives
  • Veiller à la clarté et à la lisibilité des contrats
  • Former les rédacteurs de contrats aux exigences légales et jurisprudentielles
  • Mettre en place un processus de validation juridique systématique des nouveaux contrats

Les professionnels doivent particulièrement veiller à :

– Rédiger les clauses d’exclusion de manière précise et compréhensible
– Mettre en évidence les limitations de garantie (caractères gras, encadrés, etc.)
– Équilibrer les droits et obligations des parties, notamment en matière de résiliation
– Justifier objectivement toute modification des conditions contractuelles

La Commission des Clauses Abusives recommande aux professionnels de l’assurance de procéder à une relecture critique de leurs contrats à la lumière de ses recommandations sectorielles, notamment la recommandation n°14-01 relative aux contrats d’assurance complémentaire santé.

Vers une protection renforcée des assurés

La protection des assurés contre les clauses abusives dans les contrats d’assurance santé s’inscrit dans une dynamique d’amélioration continue, portée par l’évolution législative et les nouvelles pratiques du marché.

Perspectives d’évolution législative

Plusieurs évolutions législatives récentes ou envisagées tendent à renforcer la protection des assurés :

Le règlement européen sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’assurance (IPID), entré en vigueur en 2018, impose un format standardisé pour présenter les caractéristiques principales des contrats d’assurance, favorisant ainsi la comparaison entre les offres et la compréhension des garanties par les assurés.

La loi relative à la résiliation infra-annuelle des contrats d’assurance complémentaire santé, entrée en vigueur le 1er décembre 2020, facilite la mobilité des assurés et devrait indirectement contribuer à limiter les clauses défavorables, en renforçant la concurrence entre assureurs.

Des réflexions sont en cours au niveau européen pour renforcer encore la directive sur les clauses abusives, notamment en élargissant son champ d’application aux professionnels personnes physiques et en enrichissant la liste des clauses présumées abusives.

Vers une standardisation des contrats ?

Face à la complexité croissante des contrats d’assurance santé, certains acteurs plaident pour une standardisation partielle des conditions générales :

– La création d’un socle contractuel commun, défini par les pouvoirs publics, qui garantirait un niveau minimal de protection pour tous les assurés
– L’élaboration de glossaires standardisés pour les termes techniques
– La mise en place d’un système de certification des contrats respectant certains critères de clarté et d’équilibre

En 2019, l’ACPR a lancé une consultation sur la lisibilité des contrats d’assurance, qui pourrait aboutir à des recommandations visant à simplifier et harmoniser la présentation des garanties et des exclusions.

Le rôle croissant du numérique

La digitalisation du secteur de l’assurance santé ouvre de nouvelles perspectives en matière de lutte contre les clauses abusives :

  • Des outils d’analyse automatisée des contrats permettent désormais d’identifier plus facilement les clauses potentiellement abusives
  • Des plateformes comparatives intègrent progressivement des critères relatifs à l’équilibre contractuel dans leurs évaluations
  • Des applications mobiles dédiées à l’assurance santé permettent aux assurés de mieux comprendre leurs garanties et leurs droits

Certaines legaltech développent des solutions permettant aux assurés de faire analyser leurs contrats d’assurance santé et d’identifier les clauses susceptibles d’être contestées. Ces innovations contribuent à rééquilibrer la relation entre assureurs et assurés, en réduisant l’asymétrie d’information.

La protection contre les clauses abusives dans les contrats d’assurance santé représente un enjeu majeur pour garantir l’effectivité de la couverture des risques et préserver les droits des assurés. Si des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années, grâce notamment à une jurisprudence vigilante et à un renforcement du cadre législatif, des efforts restent nécessaires pour améliorer la lisibilité des contrats et l’équilibre des relations contractuelles. La mobilisation conjointe des autorités de régulation, des associations de consommateurs et des assureurs eux-mêmes paraît indispensable pour parvenir à un marché de l’assurance santé plus transparent et plus équitable.